Apprendre la langue du pays d’accueil à des fins professionnelles
Éléments de problématique et démarches didactiques
Claire EXTRAMIANA
Délégation générale à la langue française et aux langues de France
Unité des Politiques linguistiques
DG II – Service de l’Education Conseil de l’Europe
www.coe.int/lang/fr
1. Éléments de problématique
1.1 Le lien entre activité professionnelle et acquisition de la langue du pays d’accueil
La maîtrise de la langue du pays d’accueil renvoie à de nombreuses finalités souvent discutées dans la période actuelle, l’une d’entre elles étant l’activité professionnelle. L’activité professionnelle qu’il s’agit d’envisager pour mieux cerner les besoins de maîtrise de la langue renvoie à un facteur de taille au moins, le facteur temps :
- A quel moment de son parcours d’intégration la personne allophone accède-t-elle au marché du travail ?
- Quelles sont ses compétences linguistiques au moment où elle devient une personne active ? Pour reprendre la classification de lOCDE (2011), cette personne peut faire partie de l’immigration de travail,très variable selon les pays, ou bien familiale
- Dans le premier cas son insertion professionnelle lui permet sans doute d’acquérir la langue en immersion, à travers son quotidien marqué par son activité professionnelle.
- Dans le second cas, toute personne ayant migré dans le cadre du regroupement familial aura à terme à se poser la question de son insertion professionnelle, qui posera à son tour celle des compétences linguistiques nécessaires . Ou bien cette personne peut déjà se trouver en activité professionnelle dans un secteur qui requiert peu de compétences linguistiques et souhaiter évoluer professionnellement, auquel cas elle devra développer ses compétences linguistiques. On sait que les emplois dits à bas niveaux de qualification concernent avant tout les secteurs économiques qui recrutent une main-d’oeuvre d’origine étrangère. Une étude réalisée en France (CLP, recense les secteurs en tension qui connaissent des difficultés de recrutement et vers lesquels affluent principalement des salariés d’origine étrangère ; il s’agit de la propreté, de l’hôtellerie-restauration et du bâtiment.
1.2 L’activité professionnelle comme finalité de l’enseignement de la langue
La finalité professionnelle semble à première vue aller de soi, elle correspond au domaine professionnel identifié dans le Cadre européen commun de référence pour les langues)11 (CECR) comme l’un des grands domaines d’usage de l’activité langagière. On ne contestera pas que des compétences linguistiques soient requises pour l’accès au marché du travail, encore qu’il faille distinguer des types de compétences et des degrés de maîtrise différents selon la nature de l’emploi exercé. - On ne niera pas non plus le rôle moteur du travail dans le processus d’intégration, comme le montrent les historiens de l’immigration, la langue étant ainsi identifiée par deux fois comme clé de l’intégration en ce qu’elle permet au migrant de participer aux échanges dans la langue commune et qu’elle lui permet de travailler et de s’intégrer par le travail. Mais au confluent du discours politique et de la recherche en didactique des langues (étrangères), l’apprentissage de la langue à des fins professionnelles est un sujet aussi sensible que délicat à traiter. Sensible parce que l’on conçoit aisément que la langue soit une condition de l’intégration professionnelle. Délicat parce que les formations linguistiques proposées aux migrants sont encore le plus souvent à visée générale et rarement à visée professionnelle alors même que les pouvoirs publics reconnaissent ici et là la nécessité de prendre en compte ce second objectif.
2.1 Les pratiques langagières en situation de travail
J.-M. Mangiante (2007) Pendant longtemps la spécialisation des postes de travail était considérée comme l’apanage des postes de travail hautement qualifiés. Or il apparaît que le profil des emplois d’exécution demande une spécialisation accrue, d’où la difficulté des entreprises à recruter dans certains secteurs. En revanche, une plus grande diversification est demandée aux cadres qui doivent faire preuve de plus en plus de transversalité dans l’accomplissement de leur fonction. De cette nouvelle situation naissent des référentiels métiers plus précis tandis que les tâches de communication proprement dites occupent une part de plus en plus importante.
3.1 Retour sur l’histoire de l’enseignement du français langue étrangère
S’agissant de la didactique des langues, la question des besoins d’apprentissage, comme celle des besoins de communication en contexte professionnel, a connu des réponses très diverses qui ont de quoi laisser songeur. Revenant sur l’histoire de l’enseignement du français langue étrangère au cours des cinquante dernières années, F. Mourlhon-Dallies (2008,p.16-4726)
– les mots avec les vocabulaires spécialisés tels que le vocabulaire d’initiation aux études agronomiques ou le vocabulaire général d’orientation scientifique entre 1963 et 1973 ; ) identifie les démarches qui ont prévalu dans ce domaine et qui présupposent pour chacune d’entre elles un point de vue particulier sur les besoins de communication. Ces démarches, que nous énumérons en les caractérisant brièvement, sont successivement axées sur :
– les textes à l’époque du „français instrumental“ qui privilégie les activités de compréhension de textes spécialisés ;
– les besoins de communication à l’époque du „français fonctionnel“ ;
– les domaines dans les années 1990 dont témoignent des publications telles que Le français de l’entreprise, Le français de l’hôtellerie et de la restauration, Le français du tourisme, etc.
– les compétences de travail transversales avec le français de la communication 3. La question des besoins
3.1 Retour sur l’histoire de l’enseignement du français langue étrangère
S’agissant de la didactique des langues, la question des besoins d’apprentissage, comme celle des besoins de communication en contexte professionnel, a connu des réponses très diverses qui ont de quoi laisser songeur. Revenant sur l’histoire de l’enseignement du français langue étrangère au cours des cinquante dernières années, F. Mourlhon-Dallies (2008, p.16-4726
– les mots avec les vocabulaires spécialisés tels que le vocabulaire d’initiation aux études agronomiques ou le vocabulaire général d’orientation scientifique entre 1963 et 1973 ; ) identifie les démarches qui ont prévalu dans ce domaine et qui présupposent pour chacune d’entre elles un point de vue particulier sur les besoins de communication. Ces démarches, que nous énumérons en les caractérisant brièvement, sont successivement axées sur :
– les textes à l’époque du „français instrumental“ qui privilégie les activités de compréhension de textes spécialisés ;
– les besoins de communication à l’époque du „français fonctionnel“ ;
– les domaines dans les années 1990 dont témoignent des publications telles que Le français de l’entreprise, Le français de l’hôtellerie et de la restauration, Le français du tourisme, etc.
– les compétences de travail transversales avec le français de la communication professionnelle dans la période récente.
3.2 Besoins langagiers et objectifs d’apprentissage
Il revient notamment à René Richterich et Jean-Louis Chancerel (1977) d’avoir théorisé la notion de besoins langagiers dans une perspective d’apprentissage des langues étrangères, nous l’avons rappelé en introduction. Dans cette approche, il ne s’agit pas d’apprendre une langue en tant que telle mais bien tout ce qui, dans cette langue, permet de communiquer dans un but précis. On passe donc de l’apprentissage à visée générale à un apprentissage dit sur objectifs spécifiques, puisque le dispositif d’enseignement est conçu à partir de ce que l’on connaît des situations de communication dont la maîtrise est visée. Les apprenants ne constituent plus une masse indistincte mais sont appréhendés dans ce qui fait leur spécificité au regard de leurs besoins de communication ; ils deviennent des «publics spécifiques »
Que ce soit en France (J.-M. Mangiante, 2007) ou dans différents pays européens (Odysseus du CELV, 2004 et TRIM, 2005), le fait de problématiser la question des besoins langagiers en cherchant à mettre en place une analyse des besoins de communication a constitué une innovation dans la manière de concevoir l’enseignement de la langue en milieu professionnel.
L’observation in situ du contexte professionnel est le point de départ de l’élaboration de référentiels langagiers du monde professionnel dont on trouve une description chez J.-M. Mangiante (2007, p.134) :
– Observation du contexte professionnel
– Sélection des personnels concernés :
• repérage des tâches ; position au sein de la structure
– Analyse des besoins :
• questionnaires et grilles d’observation ; entretiens ; repérage des actes de parole
– Collecte des données :
• enregistrement de situations orales ; recueil de documents écrits
– Analyse des données :
• identification du contenu linguistique ; mise en relation avec les objectifs communicatifs
– Élaboration du référentiel
Le projet international Odysseus (2004) précédemment évoqué prend en compte les besoins de communication de l’individu comme de l’organisation dans son ensemble, besoins qu’il s’agit de cerner. Parmi les moyens pour ce faire, il est question en premier lieu de la conduite d’entretiens à différents niveaux de l’entreprise, afin de :
1. cerner les besoins organisationnels et individuels en termes de communication orale et écrite
2. déterminer des tâches de communication dans les domaines concernés, à savoir :
– le lieu de travail : tâches associées au lieu de travail (avertir un collègue en cas de danger, décrire oralement une question technique, donner une instruction à un collègue, poser des questions de procédure, contribuer à la résolution d’un problème, etc.) ;
– le domaine privé : entretenir des contacts sociaux
– le domaine éducatif : cours de langue, formation, etc.
Ce référentiel résulte d’une étude de l’université d‘Artois ayant débuté en 2007 et se donnant pour objectif de recueillir et d’analyser les pratiques langagières des situations de travail dans les métiers du bâtiment et travaux publics (Mangiante, 201132). Il sera prochainement consultable sur le site de l’université d’Artois des discours de consignes, de descriptions actives et dynamiques d’actions à réaliser, d’annonce de tâches à accomplir dans le courant de la journée ou le lendemain, des énoncés circonstanciés (conditionnés par le temps, l’espace, les moyens matériels, les aléas du chantier…), des explications fréquentes aussi dans les énoncés liés à la formation (…) ou à l’intégration des nouvelles recrues (Ibid. p. 15). . Cinq métiers, qui correspondent aux priorités de la profession, sont ciblés : ouvrier manoeuvre, coffreur-brancheur, maçon voirie et réseaux divers, chef d’équipe gros oeuvre et canalisateur. Les compétences transversales dégagées par l’étude concernent l’intégration des travailleurs dans l’entreprise et la coordination des différents corps de métiers sur le chantier, les contraintes administratives (horaires, mobilité, pauses, etc.), les règles d’hygiène et sécurité et la médecine de travail. Par ailleurs, des compétences langagières spécifiques sont associées aux situations professionnelles. L’analyse des discours recueillis en situation de travail fait apparaître des discours essentiellement oraux prédominants,
Il existe dans le domaine professionnel des référentiels de compétences générales ciblant les tâches principales de certains métiers qui ne répertorient pas pour autant des compétences langagières précises ou techniques. C’est le cas des compétences essentielles en milieu de travail inventoriées par le Centre des niveaux de compétence linguistique canadiens (200539
39 Centre des niveaux de compétence linguistique canadiens (2005), Faire le lien entre les niveaux de compétence linguistique et les compétences essentielles : un cadre de référence comparatif. Ottawa. ).
Partis de la nécessité de prendre en compte le domaine professionnel dans les formations mises en place à des fins d’intégration et après avoir successivement abordé la part langagière du travail, les besoins de communication et leur définition, nous avons relevé un certain nombre de démarches permettant d’identifier les compétences langagières requises pour l’activité professionnelle. Plusieurs observations se dégagent au terme de cet aperçu. Tout d’abord, le cadre de la formation est forcément différent selon que la formation est envisagée en amont de l’emploi (dans le cadre de la recherche d’un emploi), en lien direct avec l’emploi ou sur le lieu de travail même. Ensuite, l’analyse des besoins de communication est bien un préalable à l’organisation d’une formation. Enfin, l’entrée compétence, qui est utilisée aujourd’hui dans des dispositifs de formation très différents, conduit à élaborer des référentiels de compétences articulant le langagier au professionnel en prenant appui sur les situations de communication. Les compétences essentielles canadiennes, de même que les compétences clés européennes constituent l’autre pôle des formations à visée professionnelle, la langue y occupant une place primordiale puisqu’elle conditionne les autres apprentissages